Et le plaisir, c’est pour quand ?

Publié le par Juliette

Quand je vois mes collègues aspirants humoristes jubiler en sortant de scène « putain quel kif ! » je les envie et me demande : A quand mon tour ? J’ai pourtant, moi aussi, réussi à faire rire le public, j’ai même eu la chance de « réveiller une salle morte », mais l’orgasme est encore loin. Je suis dans le labeur, l’angoisse, la survie, la détresse et le stress, bien loin  de toute notion de plaisir. « C’est pas possible, m’a fait remarquer un de mes collègues, t’es forcément dans le plaisir sinon tu ferais pas ça ». Et c’est vrai que normalement, y’a une bascule. A la télé, avant mes tournages ou castings, j’étais toujours dans cet état.

Juste avant de me lancer, j'ai une bombe à retardement dans le ventre, une envie furieuse de me retrouver six lieues sous terre, à me demander ce que je fais là, pourquoi je m’impose ça. Et puis après, je fonce, je sors mon bulldozer, j’écrase l’effroi, je dégage le terrain pour laisser l’expression de soi s’épanouir. L'angoisse laisse place à une jouissance extrême. C’est comme sauter à l’élastique : on se dit qu’on va mourir avant, et on se sent vivant comme jamais après. Galvanisé à mort !

J’ai expérimenté ces shoots d’adrénaline qui boostent ta confiance en soi. Je reconnais l’illusion de toute puissance dont parle Thomas Ngijol dans le dernier Télérama, quand il dit se sentir comme un super héros en sortant de scène « A la limite, y’aurait devant moi un type en fauteuil roulant, je lui dirais : Allez, fais-moi confiance, lève-toi ». Oui, pour un tel « après », ça vaut le coup de supporter les « avant ».

 

Le problème, c’est que 5 minutes de sketch c’est trop court pour que la bascule se produise, pour expérimenter cet état de grâce, cette impression d’être en osmose avec l’univers et avec le sens de sa propre vie. Et puis quand on est confronté frontalement au public venu là pour rire, l’état de grâce relève de l’exception, pas la règle. Chaque représentation est différente, ce qui a marché hier peut très bien faire un flop demain, parce que le contexte, l’énergie, le timing, l’ambiance, le moment, l’audience et les humeurs ne sont plus les mêmes. D’ailleurs les anglo-saxons considèrent que l’aspirant humoriste doit apprendre à aimer les bides (« Love the Bomb »), inévitables et formateurs.

 

Trop souvent pourtant, cette insécurité me mine et me coupe les ailes. Je suis persuadée qu’un aspirant humoriste sans complexe ni doute gagne deux ans sur son équivalent rongé par l’inquiétude et le trac. Mon prof m’avait prévenu que le plaisir risque de se faire encore attendre et l’interview de Blanche Gardin, l’humoriste incontournable du moment, n’est pas pour me rassurer. Il y a un an et demie, après un premier One qui a cartonné et avant de remonter sur scène pour le second, elle disait  « J'ai l'impression que les conditions sont réunies pour que le plaisir soit enfin là ». Où en est-elle aujourd’hui, alors que son spectacle se joue à guichet fermé ? Il semblerait qu’elle prenne enfin, depuis peu, « un peu de plaisir ». « Il y a enfin des moments agréables, mais pas tout le temps, c’est comme le sexe ». Tout ça pour ça ?   

Publié dans Mon One-Man-Show

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