Mon ado, cet inconnu !
J’ai vu hier la cinquième saison de « Meurtre à Sandham », probablement la dernière vu le taux de criminalité de l’île (à raison de 3 meurtres pour 110 habitants à chaque saison, il n’y aura bientôt plus personne pour l’habiter). Ce qui m’a tenu en haleine jusque tard dans la nuit, c’est que cette saison mettait en lumière les mœurs et les affres de l'ado, illustrant ce que je ressens depuis que j’en ai un à la maison. Eh oui, le pré-ado que je décrivais il y a peu ici a terminé sa mue et depuis, malgré la complicité qui nous lie, je le regarde souvent avec effroi et lui demande « Mais qui es-tu ? ». C’est qu’on ne connaît pas son ado. Ecoutez-moi bien : On ne connaît pas son ado. On croit le connaître – ce qui est encore pire – mais on ne le connaît pas. On continue à le voir comme un être naïf et innocent… jusqu’à ce qu’on aille fouiller l’historique de recherche de son ordinateur. On le traite en être responsable comme il le mérite la plupart du temps… et voilà que tout à coup il commet une bêtise totalement irresponsable. Il nous répond et crâne quand on remet en cause ses résultats scolaires… mais s’effondre chez l’orthophoniste face à une mauvaise note.
Avec l’adolescence s’installe une duplicité, à la fois saine et dangereuse. Saine, car c’est le moment où l’ado sort de votre ombre pour se construire. Dangereuse car il se forge un masque, vous ment, vous tient à distance et vous n'avez plus de contrôle sur lui. Si, comme dans mes cauchemars d’adophobe, l’adolescence est bien faite de conflits et de sentiments exacerbés, ils se passent généralement à l’intérieur de votre ado et vous êtes la dernière personne avec laquelle il va les partager. Vous restez à la porte de ses émotions les plus profondes, et c’est très dur. C’est comme laisser son enfant sortir du jardin d’Eden pour le lâcher dans l’antre de Lucifer, seul face à des tentations démultipliées (sexe, drogues, alcool, intégrismes, harcèlements, mauvaises fréquentations, comportements à risques…). C’est le laisser trébucher sans rien dire, alors que vous voyez bien tous les obstacles qui se dressent sur son chemin. Vous savez bien que votre ado, même s’il s’en défend, n’est encore qu’un être en devenir, qui n’a pas les armes pour appréhender les événements à leur juste mesure. Tout emballement, chagrin, déception, trahison, chagrin est pour lui tragique et définitif. Et un mauvais jugement, ou juste un moment de faiblesse de sa part peuvent entraîner de graves conséquences…
Alors que faire ? « Le dialogue, c’est bien, écrit Paul Buck, mais ça ne marche qu’avec les êtres humains. Pas avec les ados, donc ». Il ne sert à rien de d’exhorter votre ado à ne pas mentir, à ne rien cacher, il le fera quand même – et sans scrupule - car c’est ainsi qu’il se construit et devient un être humain autonome. Il progresse par l’expérimentation et tout ce qui va avec : projets, curiosité, tentatives, essais, échecs, risques, adrénaline et autres ressentis… C’est ainsi, que «Jour après jour, clope après bière, votre tendre enfant se fait la malle ». Et c’est ainsi, aussi, qu’il forge ses décisions futures. Vous n’avez d’autre choix que de respecter ce cheminement, d'être le témoin bienveillance mais ferme du parcours, le contrepoids mature du "vieux" rassurant mais forcément "chiant". Il ne s’agit pas de lâcher l’affaire mais de rester ni plus ni moins que vigilent face au moindre signe de détresse, aux indices suspects, aux infimes changements de comportements… Bref, vous devez lui faire confiance tout en sachant que vous ne pouvez pas lui faire confiance. Je sais, c’est horrible ! Mais je me dis que ça aurait pu être pire, j’aurais pu avoir une fille !