Turquie 2017 : Touche pas à mon keyif !
Cette année, pour les vacances c’était « devoir de Turquie ». On n’y pas retourné depuis 7 ans et une cousine se mariait, donc, pas trop le choix mais j’y allais franchement à reculons. J’étais trop triste de la direction que prenait ce peuple, séduit par un populiste lui promettant un avenir de poulets en batteries. L’arrivée à Istanbul a confirmé mes craintes. Cette ville où se côtoyaient jadis Hidjab et mini-jupes dans l’indifférence générale est devenue le harem de Batman avec des femmes en Niqab à chaque coin de rue. C’est que désertée par les visiteurs occidentaux, la ville est aujourd'hui la succursale des touristes du Golf…. Au grand damne des Stambouliotes d’ailleurs, qui ne sont pas arabes, ne se sentent pas arabes, n’aiment pas les arabes et ne se privent pas de se plaindre haut et fort de la tournure que prend leur pays. Une impression qui se confirmera par la suite, à Kayseri, à Ankara, coiffeurs, marchands, chauffeurs de taxi chaufferont nos oreilles de leurs plaintes. Certes, Erdoğan est en train de mener une ahurissante purge qui relève de la vendetta au plus haut niveau (politique, intellectuel, administratif) mais le peuple lui, n’est pas (encore) oppressé. Au contraire, La Turquie est devenue un pays dans lequel le Turc vit bien. Il est soigné gratuitement dans des hôpitaux modernes, il peut devenir propriétaire même avec de maigres moyens, il jouit d’un développement économique et d’une croissance à faire pâlir l’occident. Je peux même comprendre la fascination qu’exerce sur lui – et que j’avoue avoir moi-même ressenti – le fameux palais présidentiel d’Ankara, 4 fois plus grand que Versailles. Comme j’imagine que le projet de Louis XIV devait à l’époque fasciner les gueux et leur donner un sentiment de puissance par procuration.
Le peuple turc est-il dupe pour autant ? Permettez-moi d'en douter. Erdoğan profite du vote des vieux et des traditionalistes mais aussi de deux tendances propres aux Turcs :
- Le fantasme d’un « père » qui tel Atatürk les protège, restaure leur puissance et leur dignité. Sauf que Mustafa Kemal est un dirigeant autoritaire qui a utilisé la dictature pour mener son peuple au multipartisme et à la démocratie alors que Erdoğan est l’exact inverse.
- La tendance à devenir paranoïaque et à se recroqueviller sur ses traditions quand il vit hors de son pays, alors qu’il est ouvert et tolérant chez lui. C’est grâce au vote des Turcs vivant à l’étranger que Erdoğan assoit son pouvoir, et ça, que des personnes qui ne vivent même pas dans leur pays décident de leur façon de vivre, ça rend la majorité des Turcs dingue !
Je suis allée de Istanbul à Ankara en passant par la Mer Noire jusqu’à Samsun, Kayseri et la Cappadoce, je suis passée par les villes et les villages, et je n’ai vu aucune évidence d’une société muselée, contrôlée, asservie, au contraire, elle m’a semblé plus libre qu’il y a 7 ans (épaules nues, jupes courts, décolletés… mais où est donc passée la Turkish fashion Police ?). Dès notre première étape après Istanbul, à Safranbolu, j’ai retrouvé la Turquie cosmopolite, authentique et pleine d’âme que j’aime. A Ankara, tradition et modernité s'entrechoquent, l'intime et la mégalomanie se mêlent avec une vitalité presque américaine. A Kızılay, le quartier latin d’Ankara, j’ai vu moins de femmes voilées qu’aux Champs Elysées. Partout, j’ai retrouvé le keyif, cet art de vivre turc, cette façon de profiter pleinement de la vie, ensemble, en faisant fi des différences. T’as un bébé dans les bras, des mocassins, un voile et une robe qui te descend jusqu’aux pieds ? Et alors ? Ça ne va pas t’empêcher de grimper, comme tout le monde, tout en haut de la cascade. Nul doute qu’Erdoğan cherche bien à « mettre à sa main, changer, modeler » son peuple – comme l’écrivait encore Le Figaro il y a quelques jours – mais j’ai à présent l’intime conviction qu’il n ‘y arrivera pas. Car le peuple turc ne se laissera pas faire. Car son Keyif et le vivre ensemble qui s’y rattachent sont aussi indissociables que Rome et sa Dolce Vita.