La péridurale ou le mythe de l’accouchement sans douleur
Je viens d’avoir une réunion d’information sur la péridurale, suivie d’un entretien personnalisé avec l’anesthésiste, soit un service dont je ne me souviens pas avoir bénéficié lors de ma première grossesse. Pourtant, même si je suis d’avis que la tendance actuelle à la surinformation sur le pourquoi du comment du quoi des complications et possibles conséquences à chaque étape de la grossesse et de l’accouchement tend à augmenter encore l’angoisse et le stress de la primipare, j’avoue que ces échanges se sont révélés passionnants et riches en enseignements. J’ai d’abord été intriguée par cette phrase abscons de l’anesthésiste qui se targuait d’intervenir dès l’apparition de la douleur, « si douleur il y a ! ». Ah parce que les accouchements sans douleur, ça existe vraiment ? Les yeux dans les yeux, le bon docteur nullipare par essence a finalement précisé sa pensée : la douleur est toujours présente, c’est la perception de la douleur qui est aléatoire et variable d’une femme à l’autre. Même qu'une étude américaine a démontré que les parturientes italiennes auraient deux fois plus mal que les irlandaises. Dans certaines cultures l’accouchement tient du concours de hurlements, dans d’autres il est de bon ton de rester stoïque.
Par ailleurs, à la différence de toute autre intervention médicale, la douleur s’arrête aussi brutalement qu’elle a commencé et précède généralement l’événement le plus heureux de la vie d’une femme. L’intensité de ces douleurs n’a d’égale que la rapidité avec laquelle on les oublie, elle s'apparente alors à des « blessures de guerre » un brin mythifiées qu’on raconte avec ferveur (et peut-être même une pointe de sadisme inconscient) aux primipares affolées. Dieu peut reposer en paix, « tu enfanteras dans la douleur » reste d’actualité ! L’utilisation du terme « accouchement sans douleur », limite injurieuse, devrait même être punie par la loi ! Tout comme on devrait enfermer une bonne fois pour toute ces puéricultrices qui se vantent de leurs X enfants pondus dans péridurale et qui vous toisent avec condescendance alors que vous êtes en train de vomir vos entrailles.
La péridurale – administrée quand on est sûr que le travail a commencé, si l’anesthésiste est disponible et s’il n’arrive pas trop tard – vous laisse largement le temps d’expérimenter l’incomparable sensation d’avoir un petit alien qui vous dévore le ventre. Paraît que l’accouchement est une « formalité » pour certaines, il s’apparente plutôt à un stage de survie pour toutes celles que je connais.
De toute façon, en France, c’est tout ou rien : soit vous renoncez à la péridurale et vous morflez pleinement, soit la péridurale vous débarrasse de la douleur mais au risque de ne plus rien sentir du tout. Ce n’est pourtant pas une fatalité, mais une « facilité » de chez nous… J’ai ainsi appris avec stupéfaction que cette méthode anti-douleur, vieille de 60 ans, n’est pas la seule qui existe, c’est juste la seule pratiquée en France. Dans les pays nordiques en particulier, seuls 20% des accouchements se font sous péridurale, les alternatives étant l’inhalation de gaz anesthésiques ou l’administration d’agents morphiniques. La particularité de ces traitements ? Ils exigent une disponibilité accrue du personnel médical mais permettent à la patiente de contrôler elle-même l’administration du produit, si bien que ces méthodes s’avèrent plus satisfaisantes pour la parturiente alors que le soulagement de la douleur est moins complet. Le recours systématique à la péridurale (comme à l’épisiotomie, déjà évoquée ici, mais aussi à la position allongée jambe en l’air qui, aux dires même de notre conférencier, s’avère une « aberration » contre-nature) est donc encore une fois le reflet de la façon dont on traite les femmes enceintes en France.
Leurs désirs, leurs besoins, leur ressenti ne sont absolument pas pris en considération, l’essentiel étant d’aller au plus vite, au plus simple, au plus efficace, au plus sûr, de ne pas se prendre la tête
ni encourir le moindre risque. Une attitude particulièrement insensée pour ce qui est de la douleur, qui relève de la perception subjective et devrait donc par essence pouvoir être auto-gérée par la parturiente. D’autant plus que la douleur est utile, non parce qu’elle rend notre accouchement plus admirable et noble, mais parce qu'elle nous parle. C’est un élément de mesure pour comprendre ce qui se passe dans notre corps et réagir en conséquence. Alors, puisque les moyens de gérer cette douleur existent, pourquoi la femme n’y a-t-elle pas accès ? Pourquoi la prive-t-on, une fois de plus, de la liberté de choix ? Nous en sommes arrivé à la situation paradoxale où la prégnante n’a jamais été aussi entourée et informée, alors que ni le système ni le personnel médical ne l’encouragent à se poser les vraies questions, encore moins à remettre en cause l’ordre établi, la poussant à se taire, à s’effacer, à s’oublier et à se laisse confisquer une expérience qui ne devrait appartenir qu’à elle.