L'Oeil de la Ménagère : L'accouchement, une drogue dure ?
L’affaire est entendue : il y a autant de grossesses différentes que de femmes et d’enfants différents, celle que je viens (enfin !) d’achever en apporte une preuve supplémentaire. Avec mon premier petit gars, j’ai eu
un gros mummy blues au début, agrémenté de six semaines de symptômes limités à une grosse fatigue et quelques troubles digestifs… puis sept mois de croisière hormonale, en pleine(s) forme(s), sans contractions, ni douleurs. La veille de l’accouchement, j’ai encore travaillé sur mon ordinateur jusqu’à une heure du matin, c’est dire !
Avec mon dernier bonhomme, pas de blues particulier en début de grossesse, mais d’incessants maux de tête, de coeur et de ventre pendant quatre mois, avec des contractions dès le second trimestre, puis six mois de montagnes russes au niveau de l’humeur, de l’énergie et du moral, pour une fin de grossesse des plus laborieuses.
Alors, qu’en est-il pour l’accouchement ?
Comme je l’ai déjà raconté ici, le premier m’avait si bien réussi que je craignais d’avoir une expérience inverse. Et si, cette fois-ci, j’étais prise de baby blues (qui, paraît-il, commence dès le décrochage du placenta et la chute hormonale qui l’accompagne) ? Et si le personnel était moins empathique ou compétent ? Et s’il n’avait pas le temps de poser la péridurale (d’autant que mon col était déjà ouvert à deux doigts depuis une semaine) ? Finalement, je suis arrivée à l’hôpital à 6 heures 45 avec toujours mon col à deux doigts mais déjà une nuit de violentes contractions, le temps de poser la péridurale, le travail commençait en quatrième vitesse (du coup, une fois de plus, j’étais tellement shootée que je n’ai rien senti). Mon gynéco passant par là (avec sa veste Chevignon et son casque à la main, je l’ai pris pour un coursier), il a pris l’affaire en route, quand soudain l’aiguille du bébé s’est affolée. Hop, on a soulevé ma blouse pour voir ce qui se passait : rien de plus qu’une tête pressée de sortir… et finalement expulsée en deux poussées à 9 heures 20, me laissant dans un état de félicité gâteuse ! Forte de cette double expérience, deux conclusions s’imposent :
1. Je suis une pousseuse d’enfer ! A chaque fois, je me prépare physiquement et psychologiquement à pousser de toutes mes forces, je m’agrippe au lit, ma tête rougeoie comme un phare, je serais prête à mordre dans un chiffon tendu… Je m’apprête à vivre un marathon mais je livre, sous les félicitations, les olas, les applaudissements et les yeux ébahis du public, une poussée si spectaculaire qu’il n’en faut qu’une ou deux de plus pour expulser mon rejeton. Sûr que si la poussée était une discipline olympique, je serais médaille d’or !
2. Je me drogue à l’accouchement (même si, à raison d’un trip tous les quatre ans, on est loin de la dépendance). Le cocktail d’analgésique et d’hormones me laisse dans un état d’euphorie qui se poursuit même quand les sensations reviennent (et donc, les douleurs, inflammations, courbatures, cicatrices, tuméfactions, contractions et tranchées, joyeusetés suprêmes réservées au multipares). J’ai l’impression d’être faite pour produire des enfants à la chaîne, j’ai envie de remettre ça toute suite, de déployer les performances de mon bassin de pondeuse. Les jours suivants, je reste pimpante et rayonnante, j’ai une mine superbe, le visage émacié, des cheveux de top modèle, les yeux qui brillent, bref, je suis à moi seule une pub vivante pour l’accouchement !
Et depuis ? Moi, ça va, je m’adapte, je vis au rythme de mon bébé, je continue à me shooter à son odeur, j’apprends à le connaître. Après Euzen-bonne-pâte, je découvre Arzel-faut-pas-qu’on-l’emmerde, un nourrisson un chouya plus exigeant, peu doué en tétinologie, jamais aussi bien que dans mes bras, de préférence pendu à mon sein, si vif qu’on ne peut pas le lâcher une seconde, si colérique qu’il en a les lèvres qui tremblent, mais parfaitement opérationnel par ailleurs, arrivé à terme, sans rien de morveux, de fripé, de larvaire, de cabossé, de gluant, de hurlant… Y'a juste mon mari qui a un peu plus de mal. Lui qui n’a fait aucune nuit blanche, n’a pas à se réveiller ni à se lever la nuit, n’a pas délivré le fruit de ses entrailles, n’a pas l’entrejambe abîmé, n’a jamais subi la douleur des contractions même dans ses pires cauchemars, n’a pas l’excuse d’une grossesse pour justifier sa ventripotence, ne donne pas le sein... et pourtant, à la voir, épuisé, irrité, surmené, accablé, apathique, on croirait que c’est lui qui vient d’accoucher. Finalement, le bad trip ou l’overdose, c’est peut-être lui qui les vit ?