Mon bébé n’est plus mon bébé…
Pour ce billet, oublions un peu le nouveau-né (et Dieu sait qu’avec l’impériosité de ses pleurs, de ses colères et de ses appels à pitance,
ce n’est pas facile) pour revenir à mon premier fils. Lors de sa venue au monde, la plupart des jeunes parents de mon entourage m’ont dit, avec une pointe d’envie dans la voix, « profites en bien, ça passe si vite ». J’ai fait mien ce credo et vécu chaque stade de son évolution comme une période extraordinaire, fragile, éphémère, à laquelle je me raccrochais d’autant plus que j’avais toujours peur qu’elle ne m’échappe pour laisser place à quelque chose de plus fade, de plus tiède. Je me disais que ce n’était pas possible qu’il reste un gamin aussi génial et que, tôt ou tard, il se transformerait en « monstre », du genre qu’on voit dans les émissions de coaching à la télévision et qui nous épuisent rien qu’à les regarder. Mais, à travers mon expérience, j’ai découvert une autre loi naturelle dans l’évolution des bébés : on perd d’un côté, on gagne de l’autre. La période de fusion charnelle avec le nourrisson, laisse place aux premiers véritables échanges, quand le regard s’anime, que les mimiques deviennent sourires conscients, que les bruitages se muent en ébauches de langage. Par la suite, à chaque stade de son développement (la marche, la parole, l’école…), les prodiges réalisés nous aident à oublier les moments magiques passés et perdus à jamais, à accepter sans tristesse qu’à chaque pas vers plus d’autonomie, notre bébé s’éloigne de nous, de nos bras, de nos tripes. Je me suis toujours dis que le jour où j’aurais un enfant, je n’en reviendrais pas qu’il soit le fruit de mes entrailles, je m’émerveillerais chaque jour avec fierté du fait que « C’est moi qui l’ai fait ». Mais à dire vrai, quand je le vois aujourd’hui, avec des cuisses plus grosses que son corps à la naissance, je n’arrive plus du tout à imaginer que ce grand gaillard a un jour habité mon ventre.
Pour la première fois, j’ai pleinement conscience de la fin d’un état de grâce (même si j'ai la chance de pouvoir recommencer avec un nouveau-né). Mon fils aîné n’est plus mon bébé, cette part de moi-même reliée par un cordon invisible, mais un petit garçon, un acteur à part entière du monde de demain. Et moi, quelque part, je fais déjà partie de son passé. Oh, certes, je reste sa mère mais son attachement n’a déjà plus rien de viscéral. Quand je le cherche à l'école, il termine d’abord son dessin et ensuite se précipite vers moi en criant « mamannn », tu parles d’une affection spontanée ! Le temps de la dépendance, de l’exclusivité, de la vénération inconditionnelle n’est plus, aujourd’hui tout s’achète, se négocie à coup d’épisodes de Spiderman et de barres chocolatées. Et je vois déjà poindre avec effroi le temps où il me regardera d’en haut et me répondra d’un doigt à mon injonction de ranger sa chambre. Mais après tout, ce n’est qu’une question de perspective. Si j’ai fait des enfants, ce n’est pas pour pouponner des bébés mais pour éduquer des individus capables de faire évoluer le monde. Et c’est maintenant, avec les premières confrontations, les vraies difficultés, les défis et les challenges de l’existence, que le travail commence. Du coup… voir mon bébé devenir un petit homme m’apparaît déjà plus exaltant que désespérant !