C’est quoi ce sport de tapettes ?
Pour l’anniversaire de mon fils, j’avais organisé divers ateliers autour d’activités telles que transformation de robots (récupérés d'occase), coloriage de masques (commandés sur Internet), pêche à la ligne (avec des lots Emmaüs lavés à la machine), ramassage de noisettes (improvisé par les enfants)… un des ateliers phares, compte tenu de la forte proportion de mâles en herbe parmi les participants, devait être le « match de foot », avec mon mari réquisitionné comme goal. Dans ma grande naïveté, sous l’œil goguenard de ma tendre moitié conscient de la démesure de mon ambition mais décidant néanmoins – le traître – de silence garder, j’entrepris d’établir des « règles », en gros : tirer dans le but sans toucher le ballon des mains. J’étais allée jusqu’à former deux équipes de trois bambins (4 ans d’âge moyen, rappelons le) avec un capitaine pour chacune d’elle (bon, ça va, arrêtez de rigoler !). En moins de 5 minutes, mon gosse en personne, la chair de ma chair, attrapa le ballon avec ses mains, tenta d’échapper en courant à ses poursuivants hilares et finit plaqué au sol par les membres des deux équipes pèle mêle. Je viens enfin de comprendre que mon fils et ses copains n’avaient rien d’une bande d’anarchiste rebelles mais s’étaient montrés visionnaires, en plein dans la tendance, en décidant, au lieu de jouer au foot, de se mettre spontanément au rugby ! Quelques minutes à regarder pour la première fois un match de rugby ont été comme un révélateur, non pas des règles d’un jeu qui se limite toujours pour moi à quelques descendants de Landru se jetant les uns sur les autres, mais de la formidable attractivité de ce sport pour ces grands enfants que nos hommes sont restés. On dit souvent que le rugby est un « sport de tapettes » (c’est vrai que toutes ses croupes offertes en mêlée, ses empoignades au corps à corps, ses mâles rotondités exhibées en calendrier, ses termes faits de « touches » et de « mêlées », cette louche expression d’une virilité outrancière peuvent prêter à confusion …) mais, à mes yeux, c’est bien plutôt un sport de grands enfants, la synthèse idéale des inclinaisons infantiles avant expurgation par la civilisation adulte. Certes, tout n’est pas permis mais l’essentiel, si : se bagarrer, courir les uns après les autres, se jeter sur son pote, le plaquer au sol, tirer dans une baballe qu’on a aussi le droit de jouer à la main, se vautrer dans la boue, brandir des genoux éraflés comme des blessures de guerre… bref, se défouler, se battre, suer, saigner, se salir, et tout ça, sans se faire gronder ! Comment douter de la vocation enfantine de ce sport quand on entend des termes supposés sportifs tels que « cuillère » (ceinturage par les pieds), « chandelle » (coup de pied à trajectoire parabolique) on « ascenseur » (soulever son coéquipier pour attraper le ballon) ? Même la petite finale jouée par le XV de France samedi prochain s’appelle « La consolante », c’est pas mignon ça ? Allez, arrête de pleurer mon petit Chabal, c’est pas si grave d’avoir perdu, mouche toi un bon coup, recoiffe-toi un petit peu, ton bobo va partir, tiens, voilà un Kinder et un gros câlin, maintenant va jouer avec tes copains, va !