Accoucher ou bosser, faudrait-il choisir ?
L’après-accouchement, je suis en plein dedans puisque j’écris un manifeste sur le sujet et que j’ai moi-même accouché d’un bout’chou qui vient de fêter ses 6 mois. Et quand je vois comme je me réveille encore plusieurs fois par nuit pour reboucher la tétine ici, donner un biberon par là, remettre la couverture de l’aîné ou le consoler après un cauchemar, je me dis avec effroi : Mais comment font les mères qui reprennent le travail au rythme des transports aux heures de pointe avec l’obligation d’être à 100% opérationnelle quand bébé ne fait pas encore ses nuits ? D’autant que certaines se lèvent en plus à 5 heures du matin pour tirer leur lait et assurent en plus le ramassage d’enfant, les courses, le souper au sortir du travail. C’est pas une vie ! Même si elles se reposent à chaque occasion, dorment dès qu’elles le peuvent quitte à se coucher avec les poules, le manque à gagner est irrécupérable. C’est scientifique : à force de ne pas aller au bout des cycles de sommeil, on rate la phase du rêve qui est celle de la vraie relaxation, de la récupération, de la régénération. Le manque de sommeil paradoxal rend donc les femmes plus faibles, plus fragiles, physiquement, émotionnellement, nerveusement et psychiquement. Alors, encore une fois, comment font-elles sachant qu’en France l’après-accouchement est une période de sollicitation extrême qui n’a rien d’une convalescence. Alors que son corps aurait besoin de trois mois pour se remettre, l’accouchée rentre chez elle avec les mêmes charges et responsabilités qu’avant, mais en ayant à gérer en plus les biberons, les couches, les pleurs, les réveils nocturnes, les états d’âme, les faire-part, les visites, la fatigue, les courses, la paperasse, les démarches administratives… sans parler des douleurs et autres conséquences directes de la parturition.
Ce n’est pas pour rien que, dans la plupart des sociétés traditionnelles, l’arrivée du nouveau-né entérine une période de confinement pour la parturiente, le temps de panser ses plaies, de reprendre des forces et de tisser les liens avec son enfant. Dans la tradition kabyle par exemple, une phase rituelle de 38 nuits et 39 jours après l’accouchement est suivie par la mère et l’enfant. Elle commence par une retraite de 7 nuits à l’intérieur de la maisonnée et se poursuit par une ouverture progressive vers l’extérieur, jusqu’à la présentation publique de l’enfant et la reprise d’une vie normale au quarantième jour. Pendant tout ce temps, la mère est « lavée et nourrie par les femmes de son clan, sous le regard de celle qui l’a aidée à accoucher ». Au Maroc, toutes les femmes du village convergent vers la maison du nouveau-né et gâtent l’accouchée de plats à base de poulet, d’huile d’argan et d’autres ingrédients concoctés pour l’occasion. Durant sept jours, la maman est considérée comme une « princesse », exemple de tout travaux ménagers, entourée de ses proches et d’une sorte de « marraine », maman bis symbolique qui se charge du bébé. Dans d’autres régions africaines, ce sont les femmes du village qui se relaient pour assurer les soins du nourrisson, la maman se contente de prodiguer les câlins et se consacre à sa remise en forme. En Chine, les accouchées font les « 100 jours », ou « le mois » en fonction des régions, durant lesquels elles sont au repos complet, ne font strictement rien, ne sortent pas, ne s’occupent ni du bébé, ni de l’intendance domestique et fuient comme la peste le moindre effort physique ou intellectuel. « Dans la ville de Wen Zhou, une accouchée ne se brosse pas les dents, ne lit aucun journal et ne regarde même pas la télé durant Le Mois » m’a raconté une copine, chinoise expatriée en France, dont le mari assura à lui seul les responsabilités de toute la communauté entière, installant son quartier général dans la cuisine pour concocter au cours du fameux Mois la série de soupes spéciales que sa parturiente de femme, tradition oblige, devait absolument ingurgiter. Quand le post-partum devient cure de jouvence laissant l’accouchée plus en forme que jamais, alors, oui, reprendre le boulot a du sens. Mais dans les conditions de vie et de travail dites modernes où ces rituels ont totalement disparu, se mettre à bosser moins de trois mois après l’accouchement sans le moindre sas de décompression ni mise en condition progressive a quelque chose d’inhumain.
En tout cas, dans une période comme celle-ci, j’apprécie plus que jamais le fait de pouvoir travailler à la maison… tout en entretenant le désir de me joindre à nouveau au monde et à l’entreprise dès que j’aurais l’occasion d’expérimenter le plaisir incomparable, la sérénité, la détente, la régénérescence que procurent les nuits complètes de sommeil dont il ne me reste qu'un souvenir nostalgique.
Edit septembre 2008, rendons à César ce qui lui appartient et à Alexandre Dubosc les photos qui lui reviennent... entre autre l'oeuf ampoule qui illustre ce billet, exemple parmi d'autres de sa créativité !