The Dark Knight ou le blockbuster philosophique
Le mensonge peut-il être juste ? La notion d’éthique est-elle assujettie à l’action ou à l’intention ? L’héroïsme est-elle une forme de folie et le héros un psychopathe en puissance ? Le « bien de tous » doit-il supplanter la vérité, la morale et l’éthique ? La dictature peut-elle se justifier comme acte citoyen ? L’homme est-il fondamentalement bon ou mauvais ? Dans le chaos, l’homme perd-il sa qualité humaine ? Peut-il s’affranchir des règles ou, hors civilisation, devient-il un animal comme les autres ? Le mal sans but est-il le pire des maux ? Que serait le bien sans reconnaissance ? Etre ou ne pas être (un héros) telle est la question ?
Je n’égraine pas ici les sujets des derniers bacs philos mais quelques unes des questions suscitées par un personnage gainé de noir aux oreilles pointues et répondant au nom d'oiseau de Batman, dont on n’attendait pas tant ! C’est presque à défaut que je suis allée voir au cinéma avec mon cher et tendre « The Dark Knight », le dernier Batman et sans doute le meilleur film de super héros jamais réalisé. Tous les ingrédients du genre sont bien sûr réunis : casse spectaculaire en prologue, combats épiques, effets spéciaux, gadgets high-tech et toute la gamme des véhicules motorisés réduite en bûcher ou en compression volante. Mais le réalisateur ne s’est pas contenté de faire un agglomérat sans fond ni conscience, chaque scène aussi spectaculaire soit-elle sert une intrigue tortueuse, d’une rare profondeur et riche en rebondissements. On croit que le film part dans une direction et voilà qu’il nous entraîne dans une autre. On ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre des différents personnages, les héroïnes peuvent mourir et les bandits sauver le monde, les gentils ne sont jamais aussi gentils qu’ils en ont l’air et les vilains semblent tout droit sortis d’une pub Orangina Rouge (Pourquoi est-il si méchant ? Parce queeeeeeee). Sauf que, quand débarque le Joker, cet anti-humain aux motivations opaques, que rien n’atteint, qui ne craint ni de souffrir ni de mourir, loin du stéréotype hollywoodien du bad guy assoiffé de puissance, d’argent et/ou de vengeance qu’on achèvera lentement et atrocement en bouquet final, on n’a plus du tout envie de rigoler. Rarement méchant de cinéma nous aura autant glacé le sang (et dire que c’est l’homo coincé et stoïque de Brokeback Mountain qui livre cette interprétation hallucinante). Tout cela reste évidemment du cinéma de « divertissement », on ne sombre pas du côté obscur de la force tout de même, à la fin l’optimisme face à l’humain reste de rigueur (même si, on le sait hélas, il ne correspond pas à la réalité) et les raccourcis ne font pas peur (on se remet fissa de quelques balles dans le corps, d’une brûlure au troisième degré ou d’une chute à priori mortelle). Il n’en reste pas moins qu'on sort du film non simplement diverti mais un peu moins con, on se sent perturbé, interpellé, turlupiné par tant d'ambiguïté, on se retrouve à discuter du sens de la vie et du devenir de l’humanité…
Qui l’eut cru ? Godard peut prendre sa retraite, Batman assure la relève !