T'as pas honte ?
Existe-t-il émotion plus envahissante que la honte ? Toute peine, toute colère s’affadit avec le temps, après la tristesse vient le beau temps, nos grandes frayeurs se transforment parfois en éclat de rire et même les chagrins d’amour perdent peu à peu de leur intensité, mais la honte ?
La vraie grosse honte, pas celle dont on plaisante « ouah, j’me suis tapé la honte », non, celle que l’on tait parce que, justement, on a trop honte. Parce que l’humiliation est toujours aussi cuisante. Parce qu’en avouant, tout recommencerait. Parce que personne ne pourra nous pardonner, ce qu’avec le temps, nous n’arrivons toujours pas à nous pardonner. La honte résiste au temps, à la relativité, à la maturité et même à la mort. Quand j’avais 15 ans par exemple, j’ai fais un truc très con, la dame qui m’a « attrapée » est décédée depuis longtemps mais la honte est toujours là, si bien que même sous la torture je ne vous avouerai jamais la broutille qui causa cette humiliation. Car les vraies hontes sont coupables, muettes et secrètes.
Alors quand je lis l’article du Figaro Magazine (roooh, c’est pas ma faute, j’avais deux heures à tuer chez mon médecin) avec neuf écrivains qui témoignent sur le thème « le jour où j’ai eu honte », je me demande : de qui se moque-t-on ? On a d’abord Eliette Abécassis qui se prend la tête à chaque parution parce que « la honte, c’est de voir mon nom sur la couverture d’un livre ». Ah ouais, trop la honte ! Nous aussi hein, si ça nous arrivait, qu’est-ce qu’on aurait honte. Pour Marc Lambron, la honte c’est d’avoir eu son premier manuscrit refusé par UN des trois éditeurs auquel il l’a envoyé. Et ceux, « le cœur plein de candeur et d’espoir » tout comme lui, qui envoient leur manuscrit a 20 éditeurs et ne reçoivent en retour, jour après jour, que des réponses négatives standards, ils font quoi, ils se suicident ? Quand Philippe Labro raconte comment il a fait lui-même la promotion de son premier ouvrage comme étant le « Goncourt de l’année » avec la subtilité d’un vendeur d’assurance-vie en porte-à-porte, on pouvait croire que oui, là, lui, il joue le jeu… tout s’effondre quand il avoue finalement « aujourd’hui cette histoire me fait bien sourire ».
La vraie honte ne prête jamais à sourire, la honte ne génère rien d’autre que la honte. Seul, à mon sens, Robert Sabatier touche du doigt la honte dans ce qu’elle a de mortifiant et d’indélébile, quand il raconte comment, dans son jeune âge, il fut accusé de plagiat devant toute la classe, lui le meilleur élément habitué à voir ses rédactions citées en exemple. « J’ai pensé à cette histoire toute ma vie » dit-il, alors que « Mon instituteur est mort depuis longtemps ».
Mais en définitive, je doute qu’aucun de ces auteurs n’ait réellement joué le jeu.
Comment s’étonner ? Si moi, connue pour mon impudeur et mon indifférence au jugement des autres, je n’ose pas confesser « le jour où j’ai eu honte », pourquoi le feraient-ils eux ?
Alors, ils éludent, ils avouent un moment de gêne ou d’embarras, une blessure d’amour propre, un comportement ridicule mais finalement touchant, histoire de transformer la honte en coquetterie littéraire. Car comme dit Charles Dantzig toujours dans le même article « Un peu de faiblesse est humaine, délicieusement humaine ».
Hélas, ceux qui devraient vraiment avoir honte, eux n’ont pas honte. Le « chômeur professionnel » qui vit depuis plus de 20 ans sur les failles du système, qui s’en vante dans un bouquin et en tire profit, lui, n’a pas honte. Son éditeur n’a pas honte. Les journalistes qui en font complaisamment l’écho n’ont pas honte. Et qu’importe si 5 millions de vrais chômeurs en pâtissent. Par contre, nous, avec nos petites mesquineries ridicules et nos défaillances inoffensives, on reste pétri de honte. Y’a un truc qui déconne, non ?
Et vous alors, seriez vous capable de raconter « le jour où j’ai eu honte » ?
Si l’un de vous ose ici se débarrasser d’une honte jamais avouée, une de celles qui risquent de provoquer la consternation du lecteur… je vous jure que, moi aussi, je vous raconterais la bévue de mes 15 ans. Qui osera se lancer ?