Grève d’entraînement des Bleus : Comment on en arrive à prendre collectivement une décision absurde…
Ce n'est pas parce que tout le monde est d'accord, que tout le monde a raison, foi de Copernic ! Quand j’étais gamine, j’étais tombée sur un article qui parlait les « égocentriques » - censés, je me souviens de ce détail, dire toujours « c’est moi » au téléphone au lieu de donner leur nom -, je m’étais empressée de le lire à mes copines tant le descriptif me faisant penser à l’une d’entre nous, Anne, toujours si sûre d’elle en apparence, si charismatique, si supérieure à nous autres complexées boutonneuses pataudes mal dégrossies. Nous avons eu cette idée absurde de recopier le texte sur une grande feuille de papier accrochée au mur afin de confronter la fameuse Anne à ce portrait peu flatteur mais si juste à nos yeux. Qu’espérions-nous ? Qu’elle se reconnaisse, tombe son masque d’arrogance, redevienne notre égale et s’écroule devant nous en s’auto-flagellant « oh oui, c’est ma faute, c’est ma très grande faute » ? Evidemment rien ne s’est passé comme prévu et il n’a fallu que quelques secondes à l’intéressée pour nous couvrir de ridicule (C’est là qu’on se rend compte qu’il est bien plus facile de se choisir un bouc émissaire faible et vulnérable). Dans notre groupe de copine, ce fut la débandade, plus personne n’était responsable, chacun déclarant s’être laissé entraîner et reportant la faute sur l’autre. Au départ, nous étions pourtant toutes solidaires. Ce qui me frappe encore aujourd’hui c’est comment nous nous sommes retrouvées ainsi pétries de remords et de honte face à une idée à l'évidence stupide, alors qu'elle nous semblait à toutes si bonne, si jubilatoire. La bêtise serait-elle contagieuse ? L’émulation du groupe ferait-elle perdre le bon sens et la mesure ?
Depuis la grève d’entraînement des bleus, tout le monde se dit que ce n’est pas possible qu’ils aient tous étés solidaires dans une décision aussi inappropriée. Pourtant, forte de mon expérience de gamine (et quelqu’un qui gagne sa vie en courant après un ballon est forcément resté un peu gamin), je suis persuadée que si, c'est possible ! Je pense même que les Bleus nous ont fait une démonstration emblématique de la « pensée de groupe », un processus par lequel chaque membre du groupe conforme son opinion au consensus sans remise en question. "Dès lors, solidaire et convaincu, le groupe a l’illusion de l’invulnérabilité et de la justesse de sa posture, développe Olivier Cimelière sur le blog du communicant 2.0. Il ne s’intéresse qu’aux signes qui abondent dans son sens et qui lui permettent de justifier et de bétonner les arguments brandis". Evaluant mal les risques et les conséquences, le groupe aboutit à des décisions absurdes et irrationnelles. Bien sûr, une fois que la messe est dite et le désastre consommé, certains commencent à murmurer qu’ils n’étaient pas si d’accord que ça, qu’ils n’ont fait que suivre le groupe mais que, « au fond d’eux », ils ne voulaient pas faire ça. Ce revirement fait partie d’un processus où "les dissensions et les divergences éventuelles sont occultées par ses membres de crainte de passer pour le mouton noir ou le traître de service" mais ce n’est que foutaise. Ceux qui se cachent derrière de pathétiques « je ne savais pas, je ne voulais pas » parce qu’ils n’assument pas de s’être laissé écraser sous le poids du conformisme ne sont pas plus honorables. Et j’imagine que plus d'un qui se montre aujourd'hui si gêné aux entournures jubilait hier dans les vestiaires en choeur avec ce groupe, tout fier de son acte de bravoure et de faire ainsi la nique à tous ceux qui se sentent si supérieurs à lui.
A vrai dire, il n’y a dans cette histoire pas de coupable, pas d’innocent. La responsabilité est collective, ce sont moins les hommes que les modes de raisonnement qui sont à remettre en cause, comme l’explique Christian Morel qui a consacré un livre aux « décisions absurdes » (pour en savoir plus, voir ici et là) : "Une décision erronée sera le plus souvent une conjoncture d’actions qui s’enchaînent de façon automatique, sans que quelqu’un ait souhaité, calculé, ni même envisagé le résultat". La vérité, c’est que les mauvaises idées assorties de décisions stupides – jusqu’aux pires, comme les génocides - naissent souvent de la même façon que les bonnes, d’un même mouvement collectif, en provoquant un égal engouement. Seules la perception des autres et l’épreuve de la réalité trancheront le bon du mauvais, la qualité intellectuelle du raisonnement absurde. Alors arrêtons de chercher la brebis galeuse quand tout le troupeau est malade. Croyez-vous vraiment que c’est un homme seul qui a décidé de lancer la fusée Challenger malgré ses joints défectueux, de dissoudre l’assemblée nationale ou, exemple suprême « d’erreur radicale et persistante », de choisir Domenech ?