Le retour de l’élagueur fou !
J’ai déjà parlé dans ce blog de l’homme dans tous ses états, face à la paternité, au ménage, au régime, à la cuisine, au frigo… mais je n’ai jamais encore évoqué l’Homme face à la nature. Pourtant sa conduite à l’arrivée des beaux jours a de quoi laisser perplexe. Tout mâle urbanisé qui se respecte montre peu d’appétence à faire le jardin, répugne à se salir les mains pour désherber ou planter et détale au premier ver de terre s’il entreprend le jardin une bêche à la main. Cependant, pour peu qu’il croise un sécateur ou quelque instrument tranchant, le voilà métamorphosé : plus moyen de le retenir. Il est pris de frénésie, une pulsion irrésistible s’empare de lui. Ainsi, le soleil et la chlorophylle agissent sur l’homme comme la lune et la nuit sur le loup garou. Il faut qu’il sectionne, coupe, débite, sabre, rase, écime, taille et extermine sans loi ni raison l’ennemi en camouflage végétal qui ose se mettre en travers de son chemin. Le moindre bout de verdure qui dépasse, trépasse sur son passage. Edouard aux mains d’acier s’en va-t-en guerre et se met à tailler à tout va jusqu’à ce qu’il ne subsiste du carnage que quelques malheureuses branches. Cette vision apocalyptique plonge la campagnarde esthète, la terrienne amoureuse de la nature que je suis dans le désarroi et l’impuissance… car là, ce n’est comme avec une coupe de cheveux ratée, ça ne prend pas quelques semaines mais des années pour repousser ! Cependant, mon pseudo-Edouard, enfin apaisé, va m’expliquer par A plus B que l’arbre était trop gros, le buisson trop touffu, que ça repoussera mieux comme ça, et papati et patata ! Ce comportement n’a d'ailleurs rien d’exceptionnel, tous les hommes s’appellent Edouard quand ils foulent un jardin et même en visite, mes mâles invités ne peuvent résister à la provocation que représentent à leurs yeux ces folles branches qui dépassent, ce malheureux lierre qui a l’outrecuidance d’envahir ce mur…. Comment se fait-il donc que l’homme se transforme ainsi en élagueur fou dès que ça bourgeonne et que ça pousse ?
Il fut un temps pourtant où faune et flore faisaient partie de son milieu naturel, quand il passait sa vie à chasser la farouche gazelle, les sens en éveil, alerte au moindre bruissement de feuille ou trace de pas, annonciateur tantôt d’un danger, tantôt d’une proie potentielle. De nos jours, cette belle harmonie, cette complicité semblent avoir totalement disparu, ce n’est plus la nature et l’homme ensemble, mais l’un contre l’autre. A force de m’interroger, une hypothèse a germé dans mon esprit : Et si, à présent que le mâle était domestiqué, il entendait également domestiquer la nature, supportant mal qu’elle lui échappe ? Voilà qui explique pourquoi il râle tout le temps, contre la pluie, le verglas, les moustiques, les fourmis, les épines des roses, le bouquet de fleur qui fane trop vite alors qu’il lui a couté un bras, les arbres au bord des routes qui causent tant d’accident... Pourtant, de mémoire d’homme, on n’a jamais vu un arbre quitter le bas côté de la route pour se précipiter sur un automobiliste ! Dans un univers qu’il maîtrise de moins en moins, l’homme se sent dominé par son environnement, alors il se venge comme il peut. La branche qui le griffe devient le symbole des vicissitudes que le monde lui fait subir. L’homme se sent castré, alors il castre la nature en retour… à qui d’autres voulez-vous qu’ils les coupent sans risquer la prison ?
Alors Mesdames, laissez-donc faire, compatissez, dites-vous que cet arbre ou ce buisson sont une moindre perte si leur agonie contribue au repos de l’âme de votre guerrier. En tant que compagne aimante, allez plus loin encore et offrez-lui pour la fête des pères un cadeau bien affûté à faire pâlir d’envie Freddy Kruger.
Nul doute qu’en déballant son viril sécateur-élagueur-ébrancheur, il ne se sentira plus de joie. Que pensez-vous de celui-là ?