Combien d’agressions laisserons-nous glisser avant de dire « Assez ! » ?
Ce matin, j’ai pris le RER avec une copine et un mec s’est branlé devant nous. Il s’est assis, a posé son sac sur ses genoux, a caché ses mains derrières et a fait son affaire, l’air de rien, en se trémoussant sur son siège. Et nous, à part un « mais il fait quoi ce type ? » lâché à voix basse dans la conversation, on n’a rien fait. On s’est laissé prendre en otage. De plus en plus mal à l’aise, n’osant pas le regarder, on s’est évertué à faire comme si de rien n’était. On s’est laissé salir, agresser. Pire, en ne réagissant pas, on s’est fait complice de son stratagème.
Pourquoi ? Parce que, malgré l’évidence, on ne se fait pas confiance. On n’y croit pas. On se dit qu’on affabule. On est pétrifié. On n’ose pas réagir, surtout pas contre lui. Forcément, il nous dirait « ça va pas la tête ? Qu’est-ce que vous allez imaginer. J’étais juste en train d’ajuster mon pantalon… ». On préfère être victime que passer pour une folle. On préfère supporter une honte insidieuse que de risquer une plus grande honte en public. Et se faisant, on entretient la perversité de l’autre. Car ces mecs sentent bien notre faiblesse. Ils voient toutes les failles de notre façade de femme libérée. Ils savent que nous portons comme une croix les caractéristiques empiriques de notre genre. Nous sommes les descendantes de générations de femmes soumises et sacrifiés. Nous avons intégré notre infériorité malgré nous. Et je suis désespérée de constater à quel point nous restons prisonnières de ces chaînes. Si 100% des femmes ont subi le harcèlement dans les transports – m’amenant à aborder pour la deuxième fois ce thème en un mois – c’est bien que nous n’arrivons pas à casser le cercle vicieux de leur perversité nourrie par notre impuissance. Nous passons des années à travailler sur nous-mêmes pour devenir fortes et indépendantes, mais nous restons incapable de réagir face à l’abus.
Si, dans cette même situation, nous avions une mentalité d’homme – je ne dis pas si nous étions des hommes, car ce genre de choses n’arrive pas aux hommes et dépasse leur entendement – nous n’aurions aucun doute, nous ne ferions pas l’inventaire des indices pour confirmer ce que nous savons déjà, nous aurions immédiatement arrêté notre conversation pour le confronter « Oh, vous faites quoi là ? ». Il aurait eu honte, pas nous. Mais nous, on prend le mec en flag et on continue à douter. A deux. On envisage plus volontiers l’hallucination collective. On prend la journée à rebâtir notre estime de soi, on s’appelle pour en parler et on finit par admettre que non, il n’y a aucun doute, ce mec s’est bel et bien branlé devant nous. Impunément. Combien de temps, de siècles nous faudra-t-il pour nous traiter nous mêmes en égales ? Quand apprendrons-nous enfin à nous estimer et à nous faire confiance ?