L'Oeil de la Ménagère : Où est passée notre âme d'enfant ?
Enfant, j’étais un ange tombé du ciel qui continuait à planer, loin des contingences terrestres… au grand désarroi de mes parents dont les lourds sabots étaient, quant à eux, bien rivés dans le sol. Je n’écoutais pas, j’avais une incapacité pathologie à marcher dans le rang, à être sage et bien élevée, seules qualités qu’on demandait alors à un enfant. Mais j’avais de l’imagination, ah ça, j’en avais même à revendre. Je vivais dans mon monde, je m’inventais les histoires que personne ne me racontait, j’étais la princesse autoproclamée d’un univers qui échappait à l’ordre temporel et dans lequel bien peu osaient s’aventurer. Trop à l’ouest. Seule ma pieuse grand-mère alimentait mon moulin à histoires avec ses « Notre Père quiette aux yeux… des livres et nous du mal » que je récitais avec délectation sans rien y comprendre.
A quel moment ais-je perdu cette faculté à gober les récits les plus abscons ? Sans doute avec l’apparition de la conscience, quand je me suis rendue compte que ma différence dérangeait et qu’il me fallait changer pour qu’on m’accepte. Quand j’ai commencé à rentrer dans la vraie vie, dans le monde, dans le système, quand j’ai appris la méfiance, le cynisme, la critique, quand je suis enfin devenue raisonnable, adulte quoi ! Et quand je vois comme mon esprit bien redressé parasite aujourd’hui l’histoire du Petit Poucet, je sais que mon innocence s’est barrée sur le chemin de l’enfance à nos jours et que nul petit caillou ne me permettra jamais de la retrouver. Pour ma défense, avouez quand même que c’est un comble cette histoire de Petit Poucet que ses crevards de parents abandonnent dans la forêt parce qu’ils n’ont plus de quoi le nourrir. Faut quand même avoir l’esprit sacrément tordu pour estimer qu’il est préférable qu’il meure seul, abandonné, effrayé, affamé au cœur de la forêt plutôt que dans la chaleur du foyer. Plus tard, le Petit Poucet arrive, en se coltinant ses 6 frères, chez la femme de l’ogre qui l’héberge à ses risques et périls. Comme par hasard (!!!), elle dispose justement d’un lit à 7 places, à côté de celui de ses filles qui, comme par un heureux re-hasard, sont également 7. Sans le moindre scrupule, notre Petit Poucet, ce héros, substitue les bonnets de ses frères aux couronnes des filles. En rentrant, l’ogre se jette sur elles, il ne les mange pas tout de suite – noooon, ce n’est pas assez raffiné - il leur « tranche la gorge » puis « leur suce quelques litres de sang », gardant la chaire pour le petit déjeuner… où il découvre son horrible méprise. Ivre de vengeance, de rage et de haine, il chausse ses bottes de 7 lieues et se met en chasse pour retrouver Poucet & Frères, mais pris d’un coup de mou, il… s’endort sous un arbre ! Vous arrivez, vous, à vous endormir, même la nuit, quand vous êtes super vénère ? Pendant que ses frères retournent à la maison (comment ? mystère, vu qu’il n’y a plus de petits cailloux), le Petit Pouce vole les bottes et va raconter un bobard à la femme de l’ogre - celle-là même qui l’avait accueilli et qui pleure encore la perte de ses filles par sa faute – pour la soudoyer de toute sa fortune. Il s’en retourne enfin chez lui « chargé d’or et d’argent », fin de l’histoire ! Et il ne faut surtout pas en changer une ligne, tenter une explication ou relativiser, sinon on sort de l’orthodoxie de la psychanalyse des contes dont la fonction est d’aider l’enfant à surmonter les épreuves, à dépasser ses angoisses, à grandir sans culpabilité, à construire ses valeurs et ses repères. Génial, grâce à un seul conte, mon fils vient d’apprendre la bêtise humaine, la cruauté, la corruption, la cupidité, la duplicité, l’ingratitude, le racket… et c’est moi qui ait perdu mon âme d’enfant !
A quel moment ais-je perdu cette faculté à gober les récits les plus abscons ? Sans doute avec l’apparition de la conscience, quand je me suis rendue compte que ma différence dérangeait et qu’il me fallait changer pour qu’on m’accepte. Quand j’ai commencé à rentrer dans la vraie vie, dans le monde, dans le système, quand j’ai appris la méfiance, le cynisme, la critique, quand je suis enfin devenue raisonnable, adulte quoi ! Et quand je vois comme mon esprit bien redressé parasite aujourd’hui l’histoire du Petit Poucet, je sais que mon innocence s’est barrée sur le chemin de l’enfance à nos jours et que nul petit caillou ne me permettra jamais de la retrouver. Pour ma défense, avouez quand même que c’est un comble cette histoire de Petit Poucet que ses crevards de parents abandonnent dans la forêt parce qu’ils n’ont plus de quoi le nourrir. Faut quand même avoir l’esprit sacrément tordu pour estimer qu’il est préférable qu’il meure seul, abandonné, effrayé, affamé au cœur de la forêt plutôt que dans la chaleur du foyer. Plus tard, le Petit Poucet arrive, en se coltinant ses 6 frères, chez la femme de l’ogre qui l’héberge à ses risques et périls. Comme par hasard (!!!), elle dispose justement d’un lit à 7 places, à côté de celui de ses filles qui, comme par un heureux re-hasard, sont également 7. Sans le moindre scrupule, notre Petit Poucet, ce héros, substitue les bonnets de ses frères aux couronnes des filles. En rentrant, l’ogre se jette sur elles, il ne les mange pas tout de suite – noooon, ce n’est pas assez raffiné - il leur « tranche la gorge » puis « leur suce quelques litres de sang », gardant la chaire pour le petit déjeuner… où il découvre son horrible méprise. Ivre de vengeance, de rage et de haine, il chausse ses bottes de 7 lieues et se met en chasse pour retrouver Poucet & Frères, mais pris d’un coup de mou, il… s’endort sous un arbre ! Vous arrivez, vous, à vous endormir, même la nuit, quand vous êtes super vénère ? Pendant que ses frères retournent à la maison (comment ? mystère, vu qu’il n’y a plus de petits cailloux), le Petit Pouce vole les bottes et va raconter un bobard à la femme de l’ogre - celle-là même qui l’avait accueilli et qui pleure encore la perte de ses filles par sa faute – pour la soudoyer de toute sa fortune. Il s’en retourne enfin chez lui « chargé d’or et d’argent », fin de l’histoire ! Et il ne faut surtout pas en changer une ligne, tenter une explication ou relativiser, sinon on sort de l’orthodoxie de la psychanalyse des contes dont la fonction est d’aider l’enfant à surmonter les épreuves, à dépasser ses angoisses, à grandir sans culpabilité, à construire ses valeurs et ses repères. Génial, grâce à un seul conte, mon fils vient d’apprendre la bêtise humaine, la cruauté, la corruption, la cupidité, la duplicité, l’ingratitude, le racket… et c’est moi qui ait perdu mon âme d’enfant !