Nous, survivants...

Publié le par Juliette

Nous, survivants...

Après une semaine à pleurer nos morts, nos veufs, nos orphelins, je me suis forcée à reprendre une activité normale. J’ai ri comme on craque. J’ai pansé mon mal-être en pensant à autre chose. Je suis revenue à mon job, à mon Pilates, à mon chantier, à mes cours, à mon Hanouna… à ma vie comme avant. Sauf que rien ne sera jamais plus comme avant. Il n’y a pas de « c’est des choses qui arrivent » ou de « ça va passer » qui tienne. Nous sommes les survivants d’une catastrophe qui a touché tous nos concitoyens et dont aucun ne sortira indemne. Chacun tentera de conjurer le sort à sa manière, un verre à la main, un sourire aux lèvres, une bougie à la fenêtre… Mais ça ne va pas passer.

Samedi, j’entendais des tubes yéyé au Mc Do et la BO de Grease au supermarché, comme si la musique pouvait nous rendre notre insouciance, l’espoir d’une époque où tout était possible, où l’on pouvait encore décemment croire au progrès, au Love and Peace, au développement personnel et à « changer le monde ». Une époque où la jeunesse rebelle aspirait à la liberté et non à priver de liberté. J’ai le sentiment que l’humanité a entamé son déclin, comme ces empires qui, arrivés à la limite de leur expansion, finissent par s’écrouler, minés par l’arrogance, la convoitise et la corruption. Moi, jadis si positive et confiante en la perfection du monde, je me sens aujourd’hui rongée par le pessimisme. Un pessimisme devenu plus fort que moi. Un pessimisme qui me fait réaliser à quel point cette tragédie m’a ébranlée, dans ce que je suis, dans mes croyances, dans mes convictions.

Cependant, ce pessimisme s’accompagne d’une lucidité nouvelle. La tragédie m’a aussi ouvert les yeux. Elle m’a fait dégringoler de ma tour d’ivoire. Elle a fait exploser le cocon douillet de mon moi égoïste. Je me sentais si peu concernée, avant. Si je tombais sur un reportage sur Daesh, le terrorisme, le radicalisme islamique, je m’empressais de changer de chaîne pour trouver un programme plus distrayant. A présent TOUT me concerne, nous concerne. C’est nous qui avons engendré ces « monstres ». Demain, mon fils pourrait se retrouver devant ou derrière une de ces armes. Nous avons ignoré la mauvaise herbe qui poussait dans le champ voisin, et voilà qu’elle a tout envahi On a beau tondre à la surface, les racines continuent à s’épanouir sous terre. Maintenant qu’elles ont détruit mon beau jardin français, j’ai besoin de voir, de savoir, de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Plus j’en apprends et moins je vois d’issue à cette situation déjà pourrie jusqu’à l’os. Les problématiques me paraissent si complexes, alors que nos politiques et nos élites semblent si prompts à donner des réponses simples et radicales, qui défoulent peut-être mais ne solutionnent rien.

Dans mon esprit, « enfin » et « trop tard » sont au coude à coude. Car, en effet, je suis devenue pessimiste, mais aussi plus concernée et plus lucide. Selon la fable, est-ce un bien ou un mal ? Seul l’avenir me le dira…

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D
On ne peut pas "reprendre comme avant", faire comme s'il ne s'était rien passé. Il y a eu un avant et un après 11 septembre, il y a de la même manière un avant et un après 13 novembre. A nous de chérir encore plus l'instant présent, éphémère sentiment d'être vivant, louons encore plus cette liberté que nous côtoyons, rendons-la éternelle à ceux qui ne souhaitent que sa destruction. Le provincial que je suis te présente ses condoléances pour la perte de ta collègue, et j'ai une immense tristesse pour tous ceux qui ont perdu la vie ce soir-là, juste parce qu'ils profitaient de la vie...
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J
Merci, c'est une lapalissade que de dire que les morts nous touchent d'autant plus qu'ils nous sont proches et nous concernent, mais c'est vrai que ce que je ressens n'a rien à voir avec ce que j'ai vécu le 11 septembre où je me suis senti beaucoup plus observatrice.